Actualités: La communauté ogiek de Chepkitale documente pour la première fois ses règles coutumières afin d'assurer la pérennité de la conservation de ses terres ancestrales et de ses ressources naturelles

26 Novembre, 2013

« Nous n’avons jamais conservé.  C’est notre mode de vie qui conserve. Ces règles coutumières que nous avons depuis toujours, mais que nous n’avions pas mis par écrit jusqu’à maintenant. »

À la suite d’un intense processus communautaire de cartographie et de dialogue, les Ogiek du Mont Elgon, au Kenya, ont rédigé la version définitive de leurs règlements, qui commencent par ces mots :

« Les Ogiek ont vécu sur leurs terres ancestrales, Chepkitale, régies et délimitées par leurs traditions qui constituent le droit non écrit.  C’est ce qui est présenté dans ce document dans les termes les plus simples possible.  C’est un produit de la communauté, élaboré par la communauté.  Il a été rédigé en tenant compte de tous les apports de la communauté et concerté et approuvé par la communauté.  Il présente une structure de gouvernance utile à la communauté aujourd’hui comme elle l’est depuis des siècles. »

Le processus a donné lieu à des débats très passionnés.  Dans un sens, les Ogiek ne font que mettre par écrit la manière dont ils s’organisent et dont ils gèrent leur forêt et leurs landes depuis des temps immémoriaux, mais comme l’a signalé un membre de la communauté : « Quand on écrit pour dire voici ce qu’on devrait faire, il y a des membres de la communauté qui ne sont pas d'accord et on doit décider quoi faire. »

Dans le cadre d’un grand rassemblement à Laboot en avril 2013, la communauté ogiek a adopté ses règlements mais seulement à la suite de longs débats.  Puis, finalement, le 8 juillet 2013, la Déclaration de Laboot présentait les principaux règlements suivants.

  • Les règlements écrits de la communauté constituent les lois coutumières de la communauté ogiek de Chepkitale et ont force obligatoire pour tous et chacun des membres de la communauté
  • La fabrication de charbon de bois est strictement interdite
  • Les boissons illégales seront brûlées 
  • Le braconnage est strictement interdit
  • L’agriculture commerciale est interdite
  • Le conseil d’administration de la communauté est installé
  • Les luttes pour la récupération de tous nos territoires se poursuivent

Ils ont ensuite immédiatement procédé à informer les différentes autorités des règlements qui régissent leurs terres et à leur demander d’appuyer les Ogiek qui les mettent en œuvre.   Le Commissaire du district a félicité la communauté du fait qu’elle était plus rigoureuse sur le plan de la conservation que n’importe quelle autorité.  Les Ogiek ont expliqué au Service des forêts du Kenya (KFS) qu’ils étaient déterminés à mettre fin à la fabrication de charbon qui détruit les forêts autochtones malgré le fait que ces forêts se trouvent dans une zone que le KFS est censé contrôler.  Le KFS s’est toujours opposé à ce que les Ogiek restent sur leurs terres ancestrales depuis qu’elles ont été classées (sans leur consentement), mais après que les éclaireurs communautaires des Ogiek ont arrêté des fabricants de charbon pour les livrer ensuite au KFS, le KFS a aussi commencé à arrêter des fabricants de charbon. Les éclaireurs communautaires ogiek ont commencé par arrêter les fabricants de charbon les plus menaçants, montrant ainsi que « les membres de notre communauté n’ont pas peur aujourd’hui de s'affirmer ». Le KFS a réalisé une inspection aérienne et confirmé que la fabrication de charbon s’était réduite drastiquement.  

Bien que les terres ancestrales de la communauté ogiek de Chepkitale, Mont Elgon, aient été converties en réserve faunique nationale sans leur consentement en 2000 (rendant leur présence dans cette zone illégale), les Ogiek ont clairement droit à leurs terres ancestrales selon la Constitution kenyane de 2010, qui reconnaît les terres ancestrales, et les terres traditionnellement occupées par des chasseurs cueilleurs tels que les Ogiek, comme étant des terres communautaires.  Les Ogiek ont eux-mêmes beaucoup contribué à influencer le projet de Loi sur les terres communautaires du Kenya, qui devrait assurer la reconnaissance légale de ce droit. Cependant, l’approche de conservation prépondérante au Kenya en est encore une qui interdit l’occupation humaine des zones classées à titre de parcs nationaux et de réserves forestières.

Les Ogiek ont été forcés par les Britanniques à quitter les zones forestières du Mont Elgon et confinés aux landes de Chepkitale, que les Britanniques considéraient inexploitables et qu’ils ont déclarées « Réserve tribale » sans titre en 1938 (puis « Trust Land » ou « Terre en fiducie » en 1942. Les Ogiek ont ensuite été expulsés du Parc national du Mont Elgon au moment de sa création en 1968 sur le versant est du Mont Elgon. Le territoire de Chepkitale lui-même a été détenu en fiducie par le Conseil de comté du Mont Elgon jusqu’en 2000, lorsquece que celui-ci – sans consulter les Ogiek  – demande au gouvernement de le classer en tant qu’aire protégée, faisant ainsi des Ogiek qui y vivaient des « intrus illégaux ».

Bien qu’ils aient été à plusieurs reprises expulsés de force et avec violence de Chepkitale, la dernière fois en 2006, les Ogiek y sont toujours retournés.  Au début de 2011 – alors qu’une menace d’expulsion planait encore une fois – Forest Peoples Programme a commencé à travailler avec l’organisation ogiek  Chepkitale Indigenous Peoples Development Project (CIPDP), et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), à la mise à l'essai du Mécanisme de Whakatane, une initiative de l’UICN visant à remédier à ces situations d’injustice infligées aux communautés au nom de la conservation. 

À la fin 2011, la toute première Évaluation de Whakatane a eu lieu au Mont Elgon – permettant aux organismes de conservation et au gouvernement local d’aller constater par eux-mêmes que la présence des Ogiek contribue à protéger plutôt qu'à menacer la faune sauvage et les forêts.  L’évaluation a également donné le coup d'envoi à un dialogue entre la communauté et le Conseil de comté du Mont Elgon, qui a finalement mené à l’adoption à l’unanimité par le Conseil d'une résolution reconnaissant qu'il avait eu tort de demander le classement de Chepkitale et demandant au gouvernement de l'annuler. 

Grâce aux efforts assidus du CIPDP, plusieurs acteurs ont par la suite changé d’attitude.  Les véhicules transportant des malades à l’hôpital ne se voient plus bloquer le chemin, les écoles et les cliniques ne sont plus incendiées.  Au contraire, le gouvernement assume la moitié du financement des nouvelles écoles primaires ogiek qui ont vu le jour, et des isoloirs ont été livrés pour les élections de 2013, après quoi le nouveau gouverneur du comté s’est rendu dans la communauté et l’a félicitée de son travail. 

En définitive, à moins que le gouvernement n’annule le classement de leur territoire en tant qu’aire protégée, les Ogiek continueront de vivre dans la crainte d’être expulsés. Ils ont toutefois espoir que (par un travail acharné), le gouvernement reconnaîtra le bien-fondé d’éviter une longue bataille devant les tribunaux, que celui-ci – si l’on s’en tient à la nouvelle constitution – pourrait perdre.  On espère que le gouvernement décidera plutôt de travailler de concert avec la communauté pour démontrer que la conservation fondée sur les droits humains constitue la nouvelle interprétation d’un système séculaire qui reconnaît que si on prend soin de la terre, elle nous le rendra : « Nous n’avons jamais conservé.  C’est notre mode de vie qui conserve. »

Cliquez ici pour regarder une vidéo sur les règles coutumières des Ogiek.
 
Le FPP et le CIPDP tiennent à remercier le Southall Trust, la Fondation PKF, la Fondation Ford Afrique de l’Est, TIDES et Synchronicity Earth de leur soutien.

Post date: 
ven, 11/29/2013 - 10:47
Tags: 
Usage coutumier durableMécanisme de WhakataneInstitutions communautairesMoyens de subsistance durablesConservation fondée sur les droitsKenyaChepkitale Indigenous Peoples' Development Project (CIPDP)Bulletin d’information FPP Décembre 2013